L’ASX face à des poursuites pour l’échec de son projet blockchain : perte de confiance ou nouveau point de départ ?
La Commission australienne des valeurs mobilières et des investissements (ASIC) a récemment intenté une action en justice contre l’Australian Securities Exchange (ASX) pour des déclarations trompeuses concernant son projet de remplacement du système CHESS (Clearing House Electronic Subregister System) par une solution blockchain.
Cet ancien système était utilisé par l’ASX pour enregistrer les participations et gérer le règlement des transactions d’actions. Ce système permettait aux courtiers, investisseurs institutionnels et autres acteurs du marché de régler efficacement les transactions, soit pour eux-mêmes, soit pour le compte de clients. Les transactions réglées par l’intermédiaire de CHESS prennent généralement 2 à 3 jours bancaires, ce qui ouvrait la voie à de possibles améliorations.
Une ambition démesurée ?
Lancé initialement en 2016, ce projet visait à remplacer le système de registre électronique vieillissant CHESS par un système basé sur une technologie de DLT (Distributed Ledger Technology) . L’objectif était principalement d’offrir plus de transparence, de rapidité et de sécurité dans le traitement des transactions. Cependant, après de multiples retards et près de 170 millions de dollars d’investissement, un rapport indépendant publié par le cabinet de conseil Accenture a révélé des « défis significatifs » survenus dans la conception de la solution DLT. Ces conclusions ont conduit à l’abandon du projet en novembre 2022, créant une onde de choc sur le marché.
Or, l’ASIC reproche à l’ASX d’avoir induit le public en erreur en février 2022. Ces derniers avaient alors affirmé que le projet était « sur la bonne voie » pour une mise en service en avril 2023 et qu’il « progressait bien ». Ces déclarations, jugées infondées, ont porté atteinte à la confiance des investisseurs et des partenaires commerciaux. Joe Longo, président de l’ASIC, a même souligné qu’il s’agissait d’un « échec collectif » de la direction et du conseil d’administration de l’ASX.
L’opérateur de marché fait donc face à des sanctions potentielles pouvant atteindre 500 millions de dollars australiens, soit environ 330 millions de dollars. Cette pénalité marquerait un précédent pour les institutions financières intégrant des solutions blockchain, ce qui pourrait soulever des questions sur la rigueur nécessaire à leur mise en œuvre et surtout à leur communication.
Une confiance régionalement affaiblie par cette expérimentation
Cet échec met de toute évidence en lumière les défis auxquels les projets blockchain doivent faire face à grande échelle. Dans la mesure où d’autres projets de ce type verraient le jour, cette affaire souligne la nécessité d’adopter une approche prudente et une évaluation approfondie des risques avant de s’engager dans des initiatives de transformation technologique de services à fort impact pour la société. La transparence et la communication claire avec les parties prenantes doivent être des priorités pour prévenir de telles crises.
Pour ce qui est de l’industrie blockchain plus globalement, ce cas est un rappel des obstacles auxquels elle peut être confrontée lorsqu’elle tente de s’intégrer dans des systèmes traditionnels. Pour autant, si l’ASX a échoué, cela ne signifie aucunement que la blockchain n’a pas sa place dans les infrastructures financières, mais plutôt que l’application de cette dernière doit être faite de manière pragmatique et soutenue par une expertise solide.
La blockchain comme infrastructure de marché : des initiatives prometteuses
L’échec de l’ASX avec son projet blockchain ne doit pas pour autant éclipser les réussites de cette technologie dans les services liés aux infrastructures de marché. Depuis une décennie, la blockchain a prouvé son potentiel pour transformer les systèmes de compensation, de règlement-livraison et d’enregistrement des transactions financières. Si le projet de l’ASX a rencontré des obstacles, d’autres initiatives ont démontré la viabilité de la blockchain dans la modernisation des marchés financiers.
En effet, les exemples ne manquent pas. En Europe, la Société Générale Forge en France a déjà émis des obligations de 100 millions d’euros sur une blockchain, en collaboration avec la Banque de France et des régulateurs européens. Cette initiative a permis de tester une infrastructure décentralisée pour les titres financiers, offrant ainsi une alternative aux infrastructures centralisées traditionnelles. De son côté, le Swiss Exchange (SIX), bourse suisse, a lancé la SIX Digital Exchange (SDX), la première bourse entièrement régulée utilisant la technologie blockchain pour émettre, négocier et régler des actifs numériques. D’autres acteurs conséquents tels que JP Morgan ayant lancé son réseau Onyx pour des transactions interbancaire, ou HSBC via sa plateforme FX Everywhere permettant le règlement de transactions en devises étrangères sont autant d’exemples de succès.
L’usage de la blockchain a permis aux acteurs cités dernièrement de considérablement améliorer la qualité du service. La rapidité des transactions s’est accrue, avec des délais de règlement qui passent de plusieurs jours à quelques heures, voire minutes, ce qui améliore au passage la liquidité et amoindrit les coûts liés aux transactions. Également, en matière de sécurité et de transparence, la blockchain offre des registres immuables accessibles aux participants autorisés, ce qui réduit les risques d’erreurs et les coûts de vérification, tout en améliorant considérablement le suivi des transactions et des actifs.
Des opportunités à saisir par les acteurs traditionnels de la finance
Paradoxalement, l’affaire ASX pourrait stimuler des discussions sur la régulation et le développement responsable des technologies décentralisées. L’intégration de la blockchain en tant qu’infrastructure de marché pourrait ainsi bénéficier d’un cadre réglementaire plus clair, permettant de renforcer la confiance des utilisateurs finaux. L’industrie doit également prendre note de l’importance de partenariats stratégiques avec des experts techniques réellement qualifiés, et d’une phase de pilotage du projet rigoureuse.
Les développements récents, à l’image de l’approbation de fonds négociés en bourse (ETF) basés sur les crypto-actifs par l’ASX, montrent que malgré cet échec, l’intérêt pour les applications de la blockchain reste bel et bien présent.
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